Fermer

Un entonnoir XXL pour dépolluer les mers

Par la rédaction

Baptisé MSP11, le système de V2O Marine prend la forme d'un entonnoir géant qui peut être déployé et pleinement opérationnel en mer en une vingtaine de minutes © DR

La start-up marseillaise V2O Marine a développé un système pour rendre plus efficaces les opérations de dépollution en mer. Notamment les collectes de déchets plastiques. Mais nettoyer les eaux ne peut être vraiment efficace sans agir à la racine du problème : la production et la consommation de plastique.

Les océans font partie des puits de carbone de la Terre, ces réservoirs capables de capturer le CO2 atmosphérique et de modérer ainsi le réchauffement climatique. Reste qu’ils prennent aussi et de plus en plus le rôle de poubelle. 8 millions de tonnes de plastiques y finissent chaque année, d’après le WWF. Par ailleurs selon une étude de l’Université de Newcastle, un être humain ingérerait environ 5 grammes de plastiques par semaine. Soit l’équivalent de la quantité contenue dans une carte de crédit. « Les microplastiques contaminent l’air que nous respirons, les aliments que nous mangeons et l’eau que nous buvons », résume l’ONG écologiste. Un constat qui ne date pas d’hier et a déjà fait émerger des solutions. Parmi elles, celle de V2O Marine.

dispositif-v2o-marine-bateau-depollution
Le dispositif de V2O Marine permet d’augmenter l’efficacité des bateaux de dépollution en regroupant les déchets éparpillés dans une zone © DR

Plastiques, hydrocarbures et algues toxiques

Cette start-up marseillaise a développé un dispositif qui augmente l’efficacité des bateaux de dépollution. « C’est comme un grand entonnoir flottant, de 15 mètres de long par 11 de large. Les déchets qui se retrouvent dedans, au lieu d’être éparpillés, sont regroupés. Le bateau de dépollution n’a plus qu’à passer derrière pour les récupérer », explique Rémi Allain, architecte naval et fondateur de cette jeune pousse en 2021. Sans ce système, un bateau de dépollution dispose de deux bras de quatre mètres d’envergure maximum, ce qui limite sa capacité d’action.

Le dispositif de V2O Marine, baptisé MSP11 (Marine Pollution Solution 11), collecte aussi bien des déchets plastiques que des hydrocarbures ou des algues toxiques. Il s’adapte à tout type de navire possédant un treuil et ne nécessite qu’une vingtaine de minutes pour être pleinement opérationnel en mer. Et contrairement aux systèmes existants, il se tracte par un seul bateau alors que les autres nécessitent généralement deux points de tractage (deux bateaux ou un bateau couplé à un foil).

Efficacité prouvée

collecte-pollution-dechet-plastique
Pour Rémi Allain, il faut réduire le plastique et agir de manière ciblée pour récolter les déchets qui échouent en mer © DR

MSP11 a fait l’objet d’essais en conditions réelles au large de Marseille en janvier dernier. L’équipe a simulé une pollution – via des balles de riz de Camargue biodégradables – pour vérifier que le système permet bien de les rassembler. Concluant dès le premier coup.

L’objectif de la start-up est désormais de réaliser sa première vente d’ici la fin de l’année. Les clients potentiels ? Des ports, la Marine nationale, des sociétés privées de dépollution ou même des collectivités locales. V2O Marine vend son dispositif et en explique le fonctionnement. À eux ensuite de l’utiliser et de traiter les déchets récoltés.

Rémi Allain planche déjà sur de plus grandes versions de sa solution : 30 mètres de large dans un premier temps et 60 mètres à terme. « Plus elle sera large, plus elle sera efficace », glisse-t-il.

remi-allain-v2o-marine
Architecte naval de formation, Rémi Allain a créé V2O Marine en 2021. La start-up est incubée chez Marseille Innovation © DR

Collecter oui, mais surtout réduire

Un débat divise parmi les acteurs de la dépollution. D’un côté, ceux qui prônent une collecte directement en mer quand d’autres préfèrent attendre que les déchets atteignent la terre. Chacun affûte ses arguments. Mener des opérations en mer coûte cher et pollue puisque les navires fonctionnent au carburant. De plus, hormis dans certaines zones, les déchets sont dispersés ce qui limite l’efficacité des actions. Il n’empêche, les laisser se désagréger dans l’eau n’est pas optimal car cela impacte la biodiversité marine, donc in fine l’alimentation humaine. Et comme la production de plastique ne cesse d’augmenter (bonus), ils sont voués à proliférer encore à l’avenir. « C’est un problème qui va devenir immense. Beaucoup n’ont pas conscience de ce danger », alerte Rémi Allain.

Lucide sur le fait qu’arrêter complètement le plastique est quasiment impossible tant il s’est imposé dans tous nos objets du quotidien, l’ingénieur incite toutefois à le réduire. Et à agir de manière ciblée pour collecter les déchets qui échouent en mer. « C’est pourquoi nous envisageons de nouer des collaborations avec des centres de recherche et de prévisions météorologiques, afin que les utilisateurs du système puissent cibler les fortes concentrations de déchets. Il faut penser en termes d’efficacité pour agir », expose-t-il.

Reste aussi à imaginer des manières de valoriser les déchets récupérés, plutôt que de les incinérer ou de les enfouir. Il est en tout cas urgent d’agir, car les océans pourraient contenir plus de plastiques que de poissons d’ici 2050, selon les estimations de la fondation Ellen MacArthur. Autrement dit demain. ♦

*article publié le 25 mai 2023

Bonus

  • Les effets du plastique sur la santé – Une équipe de recherche sud-coréenne y a consacré une étude l’année dernière. Elle montre que les microplastiques que l’on ingère via l’alimentation, en consommant notamment des poissons, s’accumuleraient dans le cerveau et agiraient en tant que substances neurotoxiques néfastes pour le système immunitaire. Une autre étude a été menée par l’Inserm sur des souris. Elle révèle que certaines microparticules de plastique induisent des troubles de la structure et de la fonction de l’intestin, ainsi que de la flore intestinale. « S’il s’avère que ces polluants ont un effet comparable chez l’Homme, ils pourraient être impliqués dans l’apparition de certaines maladies, notamment cancéreuses ou inflammatoires », prévient l’organisme.
  • Une production plastique qui ne cesse d’augmenter – Elle a en effet plus que doublé entre 2000 et 2019. Elle s’établi à 353 millions de tonnes, d’après un rapport de l’OCDE publié en 2022. Le plastique est en majorité est mis en décharge, incinéré ou rejeté dans l’environnement. Seuls 9% sont recyclés. « Les mesures prises pour réduire les rejets de plastiques dans l’environnement ne sont pas à la hauteur tandis que la croissance de la population et des revenus se traduit par une hausse ininterrompue de la quantité de matières plastiques utilisées et jetées », alerte l’organisation.