À Nice, la 3e Conférence de l’ONU sur les océans (9 au 13 juin) a réuni une centaine de délégations, plus de la moitié représentée par des chefs d’État, et 10 000 participants. Mais derrière cette mobilisation historique, peu de mesures concrètes ont été annoncées. À Marseille, une démonstration menée le 6 juin a offert un contrechamp saisissant avec des solutions d’ores et déjà applicables dans un secteur passé sous silence alors qu’il a un impact fort sur la méditerranée : La plaisance.
La date de la journée de sensibilisation à la pollution de l’air, mais aussi sonore des bateaux de plaisance sur le vieux port de Marseille était une réponse concrète, à la vacuité prévisible d’UNOC 3. Les journalistes ne s’y sont pas trompés, une dizaine de médias locaux et nationaux se sont déplacés puis ont relayé l’aboutissement de 5 années de recherche et d’expérimentations. Une initiative portée depuis le sommet mondial de la biodiversité de Marseille en septembre 2021 par notre association avec le programme Oxseagen.
Le contrechamp d’un sommet peu décisif
« Oxseagen est un laboratoire grandeur nature sur la plaisance durable qui associe scientifiques, entrepreneurs, institutions et plaisanciers » explique Michel Tagawa. Et le président de cette association d’intérêt général de constater que les expérimentations citoyennes menées sont déjà opérationnelles, là où les sommets peinent encore à agir ». Renaud Muselier, président de la Région Sud, de retour de l’UNOC, est encore plus direct : « Ce Sommet mondial des océans n’a pas débouché sur grand-chose. Beaucoup de discours, peu d’engagements fermes. Pendant ce temps, heureusement, les territoires agissent. » Si depuis mai 2025, la Méditerranée est devenue zone SECA (Sulfur Emission Control Area), interdisant les fumées toxiques des cargos un angle mort persiste : la plaisance. La présentation du 6 juin s’inscrivait justement dans le cadre d’un appel à projets de la Métropole Aix Marseille Provence portant sur la sensibilisation du grand public à la qualité de l’air. Le vieux port situé au cœur de la ZFE abrite 3000 bateaux de plaisance. 90% de cette flotte a plus de vingt ans d’âge. Voiliers comme bateaux à moteur sont équipés de propulsions qui ne répondent plus aux normes actuelles appliquées dans l’automobile. Résultat : leurs moteurs polluent entre 3 et 37 fois plus que les voitures récentes selon les tests réalisés lors de la démonstration du 6 juin par l’observatoire AtmoSud. Dominique Robin, son directeur explique le phénomène. « Les moteurs de plaisance sont souvent non filtrés, contrairement aux voitures. La combustion est brute. »
Des solutions accessibles à moins de 5 000 €
Parmi les bateaux utilisés pour cette campagne, un vieux Bertram des années 1980 s’est imposé comme un cas d’école. Ce navire, mis à disposition par Alexandre Michel Flandin, plaisancier aguerri, a littéralement fait exploser les capteurs lors des premiers tests réalisés en 2022 : ses émissions équivalaient à celles de 37 voitures. Depuis, ce bateau a servi de plateforme d’expérimentation pour adapter sur des moteurs diesels de dernière génération un kit électrique. « Ça n’a pas été une mince affaire », reconnaît le propriétaire « il a fallu trouver des solutions pour hybrider des moteurs entièrement gérés par l’électronique, adapter la coque ». Élément essentiel, en matière d’impact environnemental, le refit génère beaucoup moins de CO₂ que la construction d’un navire. Il permet également de faire travailler des chantiers navals et des artisans locaux. Mais si la recherche a coûté cher, plus de 400 000€ financés à hauteur de 30% par la Région Sud, le résultat est au rendez-vous. Jean-Pascal Plumier, fondateur de la société OZO, spécialisée dans les moteurs électriques pour vélos, a développé des kits adaptés au nautisme. « Avec un système hybride, on utilise un petit moteur électrique pour les manœuvres dans le port, et le moteur thermique prend le relais en mer, rechargeant la batterie. Cela permet de rester sous la barre des 5 000 € », explique-t-il.
Ces kits sont conçus pour être adaptables sur la majorité des bateaux de plaisance. En parallèle, de nouveaux accessoires comme les ancres GPS, qui évitent de labourer les fonds marins, ont été conçus comme des outils simples et efficaces pour préserver la biodiversité.
Une prise de conscience partagée
Pour Antoine Cabassus, directeur du port de la Réserve géré par la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille Provence, cette expérimentation marque un tournant. « Notre port est devenu un laboratoire pour la plaisance durable. Nous accueillons déjà des bateaux à hydrogène, à l’électricité. Nous voulons montrer qu’une autre voie est possible », souligne-t-il. Michel Lamberti, président de la Fédération des Sociétés Nautiques des Bouches-du-Rhône milite pour un reconditionnement de la flotte actuelle à prix acceptable « Les plaisanciers aiment la mer. Soit on remet le tapis et on oublie ce qu’on a vu aujourd’hui, soit on agit. On doit et on veut accompagner cette transition qui est plus vertueuse en matière de CO2 que de remplacer la flotte actuelle par de bateaux hightech qui coûtent un bras comme dirait le Président de la République ».
Un enjeu économique et politique
La Région Sud, l’une des plus touristiques du littoral méditerranéen, se retrouve au cœur du débat. « Avec plus de 147 ports et 60 000 anneaux d’amarrage, le nautisme pèse plus d’un milliard d’euros dans notre économie », rappelle Christophe Madrolle, président de la commission Mer et Littoral. « Nous devons concilier attractivité économique et protection de l’environnement. » Mais le dossier de la plaisance reste délicat : réformer sans briser un pilier du tourisme côtier, engager sans punir les usagers. Or en méditerranée, 80 % de la biodiversité marine se concentre dans les ports et le littoral. La zone, où la majorité des activités de plaisance ont lieu. Cyprien Fontvieille, directeur général de Neede, insiste : « Notre étude lancée en 2020 a révélé l’ampleur de l’impact des petits navires sur cette bande côtière. On a donc conçu une écologie des solutions, en co-construction avec les fédérations de plaisanciers. Une convention citoyenne pour rédiger une future réglementation, et une feuille de route visant à instaurer une navigation décarbonée d’ici 2032 serait un outil particulièrement efficace et bienvenu ». La balle est désormais dans le camp des politiques. Le sommet des océans à montrer les limites de l’action internationale. Pour Renaud Muselier « En matière de protection de la Méditerranée, notre région est en avance : nous n’attendons pas que tout vienne d’en haut. Nous accompagnons déjà de nombreuses expérimentations concrètes sur le terrain. » Alors que les décisions internationales tardent, les preuves locales sur les possibilités de faire et d’améliorer s’accumulent. Cette question sera au cœur d’un débat public organisé au cloitre à Marseille ce soir.

Alexandre Michel Flandin, propriétaire du bateau témoin « Michel-Ange », Dominique Robin, directeur AtmoSud, Michel Tagawa président de l’association d’intérêt général Marcelle et Nous opérateur du projet, Christophe Madrolle, président de la commission Mer et Littoral de la Région Sud, Jean-Pascal Plumier, fondateur de la société OZO, Cyprien Fontvieille, directeur général de Neede.